Reportage “Dans le ventre de l’hôpital” : ce qu’il faut en retenir… ou pas

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Source de l'image : Libération

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Le reportage « Dans le ventre de l’hôpital » de Jérôme Le Maire a suscité de vives réactions et émotions dans les médias, sur les réseaux sociaux et chez les citoyens. Le journaliste d’Arte y dépeint la souffrance vécue par le personnel de l’hôpital Saint-Louis, reflet d’un constat plus général et pessimiste sur la dégradation des conditions de travail dans les hôpitaux publics. Que faut-il retenir de ce reportage ? Que faut-il nuancer ? Regards de deux consultants spécialistes du monde de la santé : Luc Lemière, directeur chez CMI et spécialiste RH, et Thomas Coone, manager santé chez CMI, et spécialiste stratégie et organisation.

Quels sont les éléments mis en lumière dans le reportage ?

“La première chose, c’est l’indéniable souffrance de beaucoup d’acteurs de l’hôpital public. Ces personnes n’ont pas choisi le milieu hospitalier par hasard. Elles sont particulièrement attachées à leur métier, y confèrent un vrai sens et souffrent donc d’autant plus de la contradiction qu’elles ressentent entre leur vécu et leurs attentes.” Thomas

“Le reportage soulève un autre point clé, c’est l’absence de mise en débat du travail qui participe à la dégradation des conditions de travail. On le voit bien dans le reportage : les différents corps de métiers ne se parlent pas et, s’ils le font, ce sera sur un registre soit superficiel, soit agressif (voir la passe d’armes entre le chirurgien et l’infirmière anesthésiste). Tandis que beaucoup se joue aux interfaces des organisations, a fortiori pour des activités aussi imbriquées que celles d’un bloc opératoire, rien ne s’y discute réellement, du moins dans ce reportage. Situation qui pour ne pas être unique n’en est pas pour autant généralisable.” Luc

Dans ce reportage, y a-t-il des aspects de l’hôpital public qui ne vous semblent pas fidèles à la réalité ?

“Les acteurs mis en scène sont caricaturés dans le reportage ; on donne l’impression que ce sont des professionnels privés de réflexion, presque incapables de verbaliser ce qu’ils vivent (à l’exception notable de l’agent en charge de l’entretien du bloc). La mise en scène de leur souffrance est aussi une vraie caricature.” Luc

“On montre exclusivement des acteurs qui sont dans la plainte, sans recul ni problématisation de la situation sauf pour regretter un passé révolu qui correspondrait à des temps forcément bénis. Or, au cours de nos missions, nous rencontrons des personnes certes en difficulté, parfois même souffrance, mais aussi beaucoup qui cherchent des solutions et essaient de s’inscrire dans une démarche plus positive. L’hôpital est un lieu complexe, qui se transforme, parfois difficilement, mais la plupart des professionnels font leur maximum pour améliorer la situation. L’hôpital ce n’est pas que ce qui est décrit dans le reportage.” Thomas

Dans le reportage, l’audit, présenté d’abord comme une solution miracle, s’avère être un véritable échec. A votre avis quelles en sont les raisons ?

“Il peut y avoir plusieurs raisons. D’abord le besoin n’a peut-être pas suffisamment été formalisé puisqu’il s’agissait de s’interroger sur la dégradation des conditions de travail et que les retours du cabinet d’audit – du moins pour ce qui en est montré dans le reportage – sont centrés sur des indicateurs de performance comme le taux d’occupation des blocs.” Thomas

“Ensuite, les ressources sollicitées n’ont peut-être pas été les bonnes. Lorsque nous travaillons avec les hôpitaux, nous essayons toujours de procéder en amont à une analyse de la demande pour y répondre de manière ciblée et personnalisée. Comme pour les autres aspects du reportage, la démarche de conseil et d’audit est caricaturée.” Thomas

“L’évocation en toute fin de reportage de la boîte à idées est révélatrice du fait que l’audit a été une occasion manquée ; une fois encore au travers de ce qui en est montré. Notre compréhension est que toutes les parties prenantes n’ont pas été associées à la formalisation du besoin, ni entendues pendant l’audit. Lors de nos prestations de conseil, nous incluons toujours les professionnels dans la réflexion pour être au plus proche de leur réalité.” Luc

En conclusion ?

“Sans nier, bien au contraire, l’importance des difficultés, il y a un écart entre ce que le film montre et ce que nous rencontrons. Ce reportage n’est pas le premier à dresser un portrait caricaturé et pessimiste de l’hôpital public (cf. Envoyé spécial du 7 septembre 2017 « Hôpital public : la loi du marché ») et, malheureusement, cela limite la compréhension des citoyens sur la question de l’hôpital public et plus largement sur celle de la réorganisation de l’offre de santé.” Luc