Hôpital public : un Ségur pour quoi faire ?

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Grève des urgences, démission collective des chefs de service, dénonciation récurrente du mal-être des soignants, le mécontentement des professionnels exerçant à l’hôpital public a largement précédé la crise sanitaire. Le chef de l’Etat a lui-même reconnu « une erreur dans la stratégie annoncée il y a deux ans[1] ».

Quatre marqueurs caractérisent cette rupture profonde avec les gouvernements successifs :

  • Un sentiment de déclassement et une perte de reconnaissance sociale symbolisés par un niveau de rémunération bien inférieur à la moyenne de l’OCDE ;
  • La conviction profonde que le passage à la rémunération à l’activité combiné à une volonté de maîtrise budgétaire a poussé l’hôpital public à « se comporter comme une entreprise[2]» et les professionnels à perdre le sens de leur engagement ;
  • Le constat récurrent d’une raréfaction des ressources humaines souhaitant travailler à l’hôpital public ;
  • Toujours plus de contraintes normatives alors que les évolutions des modes de prise en charge et des technologies exigent une grande capacité d’innovation et d’adaptation[3].

 

Quinze années de transformation ont conduit à de formidables gains de productivité au prix d’une intensification du travail des soignants.

Ce n’est pas la baisse des capacités d’hospitalisation aiguë[4], tant décriée, qui est en cause ; elle a accompagné, en l’anticipant un peu, la baisse du nombre de journées d’hospitalisation. Ce n’est pas non plus du côté de la baisse du nombre de soignants qu’il faut chercher le coupable : les recrutements de personnels soignants se sont poursuivis, avec une diminution du nombre de journées-patients pris en charge par personne, contrebalancée cependant par un accroissement du nombre de jours d’absence de courte durée.

Il faut reconnaître que l’essentiel des gains de productivité obtenus par les réformes successives ont été réalisés au prix d’une intensification du travail, renforcée par le raccourcissement des durées de séjour qui accroît la charge en soins de chaque journée. Il n’y a pas eu de transformation des organisations mais réduction des tailles d’équipe, des temps de recouvrement, des temps de « care » d’où cette intensification[5].

 

Cinq chantiers pour le Ségur

L’hôpital public est au terme d’un cycle de gains de productivité portés par l’intensification du travail des personnels soignants, alors que les organisations du travail se sont peu adaptées. La nécessaire désintensification (et l’accroissement des rémunérations) requièrent pourtant de nouvelles transformations. Elles sont à portée de main, en assureront la soutenabilité financière et permettront aux professionnels de retrouver un sens à leur travail.

Accroître la taille moyenne des plateaux techniques lourds, en allant rapidement au bout de la réforme des hôpitaux de proximité car les moyens dévolus à l’hôpital sont répartis dans un nombre trop important d’établissements conduisant à une taille sous-critique de nombre d’entre eux[6]. Ces hôpitaux de proximité, dotés d’un plateau technique moins coûteux, assurant une forte intégration avec la médecine de ville prendront en charge des patients nécessitant un lit mais pas un plateau technique complet. Cela accroîtra les tailles d’équipes dans les hôpitaux en dimensionnant mieux les équipes des hôpitaux de proximité.

Retrouver la vertu de la subsidiarité qui s’est perdue au profit du micro-pilotage par tous ceux qui se penchent au-dessus des actions des pilotes de l’hôpital. La capacité remarquable des équipes et des établissements à trouver des solutions locales a été saluée de toute part durant cette première phase de la pandémie. Une simplification administrative, sur la base de concepts simples et ayant fait leur preuve comme « dites-le nous qu’une fois », pourrait venir compléter cette dynamique.

Investir massivement dans la refonte des organisations du travail, des processus et des méthodes en pariant largement sur l’intelligence collective des équipes et sur l’apport du digital et de l’IA avec un double objectif : désintensifier le travail des soignants et mieux adapter les ressources mobilisées à l’activité réelle. Cette évolution constitue très probablement un vivier de productivité considérable qui ne joue pas sur l’intensification du travail mais sur une meilleure adaptation des temps travaillés aux besoins des patients.

Elargir la mission des hôpitaux au nouveau carré magique : Prévention – Soins – Enseignement – Recherche. La France guérit bien mais prévient insuffisamment dit l’OCDE. Alors faisons de la prévention une vraie mission de tous les acteurs de ville comme de l’hôpital. Dans ses missions de prévention, l’hôpital doit se mettre au service des professionnels de proximité, des acteurs, qui, dans tous les territoires œuvrent en ce domaine, mais il doit également agir dans son activité propre : réaliser un bilan gériatrique complet d’une personne âgée à l’occasion d’un passage à l’hôpital, c’est faire œuvre de prévention.

Accélérer la transformation du financement en rémunérant l’hôpital selon son action en faveur du patient et non selon son volume d’activité : pertinence des soins, qualité, prévention, prise en charge au « bon » échelon de l’organisation graduée de l’offre de soins mise en place. Il faut franchir un cap en matière de financement à la qualité en abandonnant les indicateurs qui favorisent le micro-pilotage (tenue du dossier patient, qualité de la lettre de sortie, consommation de solutions hydro-alcooliques, …) au profit d’indicateurs qui incitent à des transformations des organisations et des processus (taux de réhospitalisation après une prise en charge, taux d’activité programmée, taux d’infections nosocomiales …) en laissant aux établissements un fort degré d’autonomie dans la façon de les améliorer. Les travaux et rapports récents en ce domaine ne manquent pas.

 

Nous sommes convaincus que la réponse au sentiment de déclassement, à l’intensification du travail ainsi qu’à la raréfaction des ressources humaines passe par l’activation simultanée de ces cinq leviers.

 

 

[1] Le Monde 15/05/2020

[2] « Agnès Buzin enterre l’hôpital-entreprise », La Nouvelle République, 15 février 2018 à propos du projet de loi Ma Santé 2022

[3] Voir à ce sujet la tribune de Guy Collet et Gérard Vincent dans Le Monde du 23 avril 2020

[4] Source : SAE

[5] Voir notre article « Les spécificités des projets de transformation dans les établissements de santé » in Soins Cadres, supplément au N° 105, Février 2018

[6] « Trop d’hôpitaux tuent l’hôpital », Robert Holcman, Le débat 2020/2 N°209, pages 37 à 44